Pays de Galles

Sans quitter la route des yeux, Victor posa un instant sa main sur celle de son élève.

Les Banshees n’annoncent la mort de quelqu’un de précis que dans les familles nobles. Vous êtes donc la seule concernée ici. Mais elles ne se manifestent que rarement en dehors des châteaux de famille. Celle-là était plutôt là pour donner l’alarme… Quelque chose doit se rapprocher. Quelque chose qu’il valait mieux ne pas attendre.
Ne vous inquiétez pas pour Elizabeth : ils ne la tueront pas. Je crains plutôt qu’ils ne l’enlèvent s’ils espèrent ainsi avoir barre sur vous. Heureusement, elle n’a aucun don mystique : il leur sera donc difficile de s’en prendre à elle, à moins de ne vouloir déclencher un affrontement dans le monde physique aussi…

PAN !



Comme en écho aux paroles du professeur, la vitre arrière vola en éclat et une balle vit se loger dans le plafonnier de la voiture.
Derrière eux, il y avait une grosse berline noire, luisante de pluie. Par la portière du passager, on pouvait voir un bras passer, avec une arme automatique qui lâchait des éclairs menaçants dans un concert de détonations tandis que les balles semblaient siffler autour de la voiture.

Couchez-vous Rêve !

Van Boylen avait appuyé à fond sur l’accélérateur, malgré la pluie qui menaçait de les faire sortir de la route sur chacun des virages des petites routes galloises. A chaque tournant, les pneus crissaient, la voiture semblait déraper, puis se rétablissait, reprenant sa course sinueuse et folle sur l’asphalte luisant. Derrière eux, la berline des assassins semblait elle aussi tanguer sur la route étroite, manquant plusieurs fois de finir sa course dans les champs vert émeraude en contrebas.
Le moteur hurlait tandis que le vent et la pluie sifflaient aux oreilles de Victor et de son élève.
Le vieil homme, les yeux rivés sur le chemin, les mains crispées sur le volant, faisait l’impossible pour semer les assassins. Coup de volant à droite, coup de volant à gauche, il tenait la traction avant en ligne sans trop se soucier de l’arrière qui chassait sur la route mouillée, menaçant sans cesse de les mettre en travers.
De temps en temps, une balle sifflait à leurs oreilles, leur rappelant qu’ils avaient entamé une course contre la mort.

Soudain, la voiture des Marcheurs de Rêve fit une embardée, tourna brutalement dans un chemin creux et s’engagea à vive allure sur le chemin détrempé, soulevant des gerbes de boue et rebondissant au gré des nids de poule.
La voiture des assassins n’avait pas l’air de les avoir suivis.

Au bout d’une minute, le chemin creux se termina en cul de sac, dans les champs, au pied d’une petite butte. Ils sortirent en trombe de la voiture.
La pluie redoublait, une pluie froide et drue qui leur claquait aux oreilles.

Venez, il faut monter. C’est la colline de Rhiannon. Nous devrions y être en sécurité.

Tandis que Rêve s’élançait vers le haut de la colline, Victor ouvrait la porte arrière.
Il en retira son parapluie et la serviette qui ne le quittaient jamais, ainsi que son chapeau.

Attendez-moi !! cria-t-il à Rêve.

Mais la jeune femme était trop paniquée pour s’arrêter. Une fois en haut de la colline, son pouvoir se manifesta et elle se retrouva directement dans le node de Rhiannon.
Là, quelqu’un l’attendait.

Un chevalier était là, droit, immense dans son armure noire comme la nuit. Sous son heaume de ténèbres, des yeux rouges luisaient d’une lueur maléfique, tandis que des vapeurs méphitiques sortaient de son masque, comme si, de sa bouche, c’était l’Enfer même qui parlait.

Aahh !! Voici enfin l’héritière de Camelot, la protégée de la Dame du Lac … Quelle joie est la mienne, votre Altesse…

Un ricanement sardonique sorti de sous le heaume.

Combien de temps j’ai attendu cette rencontre, vous ne pouvez le savoir… Mais à présent que vous voilà, vous allez venir avec moi…
De gré ou de force !

L’apparition tendit sa main vers la jeune étudiante.

Pas si vite ! Arrière chevalier d’ombre !

Victor venait de rentrer dans le node.
Soudain, une lueur blanche l’entoura… Des éclairs jaillirent de ses yeux… Dans son aura blanche, il avait perdu 40 ans pour se retrouver en pleine jeunesse, en pleine force.
Une aura blanche entoura son parapluie et, à la stupéfaction de Rêve, celui-ci se transforma en une épée brillante et lumineuse, une épée de chevalier de contes de fées.
Son manteau se transforma en une armure rutilante, et la serviette, la précieuse serviette, se mua en un écu parti d’or et de sinople au griffon de sable armé et lampassé de gueules.

Rêve, mettez mon chapeau, vite !

La jeune fille considéra avec étonnement le galure usé que lui tendait son protecteur, mais, faute de meilleure option, le coiffa.
Aussitôt, il se transforma en un heaume d’argent puis, sitôt qu’il eut achevé sa transformation, la jeune fille devint invisible aux yeux des chevaliers.

Fuyez, fuyez, Rêve !
Suivez le chemin que vous indique le casque. Sortez quand il vous indiquera de sortir, courrez aussi longtemps que possible et ne vous arrêtez jamais, jamais, avant qu’il ne vous dise de sortir.

Le chevalier noir grinça des dents d’une manière atroce. C’était comme si mille craies à la fois crissaient sur un tableau noir.

Qui es-tu, laquais de Merlin, pour venir me voler ma promise ?

D’une voix forte et sûre, ayant retrouvé tous les accents de sa jeunesse, le protecteur de Rêve releva le défi :

Je suis Victor, le victorieux, chevalier de la Dame et protecteur de la porte d’Argent.
Arrière Mordred ! Retourne d’où tu viens !

Alors que les épées commençaient à s’entrechoquer dans un fracas de métal et de feu, Rêve partit en courant dans la première Ley Line qui lui semblait accessible.
Dans le dédale des Ley Lines galloises, le heaume lui indiquait le chemin à suivre en orientant sa tête dans la bonne direction, sans jamais parler, mais sans jamais lui laisser l’impression qu’elle était seule. Comme si Victor, d’une manière où d’une autre, était toujours avec elle.

Au bout d’une heure de course, elle ralentit le pas, une main appuyée sur les côtes, et toussant abondamment.
Mais le heaume l’entraînait toujours plus loin. Toujours plus loin.

Au bout de quelques heures, elle arriva dans un node étrange. Il en partait des centaines de Ley Lines, mais entourées sur elles-mêmes, comme un labyrinthe.
Prudemment, elle entra dans le node.
Dès qu’elle y posa le pied, un être énorme se leva, un homme grand, puissant, musclé, avec une tête de taureau, vêtu d’un simple pagne et portant une lourde hache à la main.
Il s’approcha de la jeune femme, et huma l’air de son mufle.
Par réflexe, le pouvoir de Rêve la fit descendre dans le monde réel.

Elle cligna des yeux.
Elle était sur une colline, dans une sorte de ruine grecque.
En bas, on voyait une ville et, au-delà, une mer bleue et resplendissante.
Il faisait beau. Et chaud.