- Cluny -

Et voilà.

Bérénice avait dit ça d'un ton morose. Elle détestait ce genre de voyage. Ça lui rappelait de mauvais souvenirs elle devait bien l'avouer. Pourquoi avait elle cédé à sa demande d'abord ?
Elle lâcha la main d'Alexis d'un geste brusque. Le voyage avait été cours, à peine une vingtaine de minutes... mais cette étrange proximité forcée l'avait mise mal à l'aise.

Ils étaient partis assez tôt. La maison dormait encore. Ils avaient ainsi évité tous les deux les questions de Constance. Aucun des deux n'avaient envie de passer l'interrogatoire de la maîtresse de maison.

Ils avaient filés droit à Notre Dame. C'était le lieu le plus proche et surtout la Ley Line était direct jusqu'à Cluny. Elle avait été surprise de voir son regard. Comme s'il voyait les Ley Lines un bref instant quand elle avait pris sa main.

Et maintenant ? On va où ?

Bérénice désigna des bâtiments. Ils s'y dirigèrent.

Aujourd'hui il ne reste que les batiments les plus récents. Ceux construits au Moyen Age ont servi de carrière de pierre à la Révolution... ça et le fait que les anglais ont bombardé le site pendant la guerre...
Vraiment ?
Oui... les Allemands occupaient le Monastère... c'était abominable à voir. Le node ici a mis du temps à réapparaitre. Ce qui nous intéresse, ce sont les fondations médiévales... Benoit...
Benoit ?
Oui... Saint Benoit d'Aniane... il a refondé une règle bénédictine... Et un siècle plus tard, Cluny est né.
C'était déjà un Node donc ? Je pensais que le node était né avec la puissance de Cluny.
Plus ou moins. Je... Comment dire... C'était en 900... Soit plus de 1100 ans... je n'étais pas en Europe à l'époque... c'était trop terne et moche... trop risqué aussi... bref... il y avait quelque chose ici... le fondateur...
Guillaume d'Aquitaine si je me souviens bien...

Bérénice opina de la tête et contourna les bâtiments. Ils se trouvèrent devant des ruines.

Utilisait les Ley Lines... je l'ai rencontré comme ça. Il pensait que c'était une malédiction et a crée ce monastère pour son âme. Il m'a amené ici une fois les fondations construites. Mais j'étais une femme et les bénédictins voyaient ma présence d'un mauvais oeil. Je suis repartie très vite.
Tu es allée où ensuite ?
En Chine. Mais ce n'est pas important.
Ensuite donc ?
Le monastère a grandi... L'Eglise contrôlait ainsi un Node. C'était le but...Cluny était placée sous l'autorité directe du Pape... Saint Pierre et Saint Paul... les mêmes saints que le Vatican.
Pourquoi vient on ici ?
À l'époque l'Eglise, enfin le Saint Siège, espérait avoir accès à un autre monde. Ils étaient persuadés que l'on aurait accès à un autre monde. Ils espéraient crée un autre Stonehenge. Ils avaient tenté de dominer la forêt de Brocéliande... il y a là bas une porte minuscule... très difficile à trouver... tellement en fait qu'ils n'y sont pas parvenu.

Donc Cluny devait être une porte artificielle.
Exactement.
Et ça a marché ?
Étrangement, un jour les moines ont presque tous désertés le Monastère. Au Xvè siècle il n'y avait plus qu'une poignée d'entre eux. Je pense qu'ils ont abandonné l'espoir d'une porte mais sont restés au cas où.
Mais où est l'intérêt de venir ?
Hé bien déjà l'espoir d'une porte...
pourquoi ne pas aller à Stonehenge ou bien à Brocéliande ?
Je... je veux éviter la Dame du Lac.
Pourquoi ?
Elle ne veut pas de moi !
Pardon ?
Je suis maudite. Les Gardiens sont très réticents à laisser quelqu'un entrer. Alors quelqu'un comme... moi...

Bérénice plissa du nez et prit un air dégouté.

Bref... elle m'a chassé.
Tout ça pour quoi ? Un magicien qui n'existe peut être pas ?
Tu ne comprends pas ! Pourtant ça a couté la vie à ton cousin ! À MON mari ! L'immortalité est magnifique. On se sent tout puissant. On ne craint plus rien ni personne. Mais on est condamné à rester seul. D'une solitude si pesante... Imagine... tu as un ami... et là... un homme te poignarde. Tu te réveilles mais ton ami est mort à ta place. À chaque fois que je me réveille, j'ai perdu quelqu'un de cher. Quant à tomber amoureuse...

Elle eut un rire désabusé.

Une famille... des enfants...

Elle pinça des lèvres, refusant de laisser aller sa peine. Elle passa une main sur son front.

j'ai l'impression de devoir sans cesse le répéter.
Tu es tombée amoureuse ?
Plus d'une fois... mais un jour... j'ai... J'ai fini par tomber amoureuse... un homme dangereux... je l'ai mené au bout du monde... Pour son rêve... L'El Dorado. Il en est mort... de sa cupidité, je l'ai compris plus tard.
Et ?
ça a été le déclic. Malgré... ce qu'il était... j'avais envie... non BESOIN d'avoir ma vie. On ne la savoure que lorsqu'on sait qu'elle prendra fin.
Adieu tout ça... pour une vie sans fin... quelle chance vraiment. Alors autant chercher une chimère... je donnerais tout, mon immortalité en premier évidemment pour lever ça... tu comprends... Merlin, tout ce que tu veux... sauf ma vie actuelle...

Cela faisait trois heures qu’ils déambulaient parmi les ruines les plus anciennes de l’abbaye. Tout était propre mais Bérénice regardait autour d’elle avec émerveillement. Elle levait même les yeux au ciel comme si elle voyait le monastère tel qu’il était à la fin de sa construction.

Alexis la regardait avec une moue septique. Il se demandait ce qui pouvait bien la fasciner sur des dallages ou encore des parts terres de fleur.

Dis moi ce que tu vois.
Tout.
C'est-à-dire ?
C’est mon don… je vois l’anima des hommes. Et de ce qui est crée par les hommes. Par conséquent je peux utiliser ce que les hommes ont construit. Ici je vois comme… comment dire ? Des notes de musique. Tout n’y est qu’harmonie. Cluny a tellement imprégné le lieu, le node, que pour la magie des Ley Lines, le monastère est comme intact. Bien sur on ne le voit pas tel quel. Mais on le voit de la même façon qu’on voit les Ley Lines.
Comme de la musique ?
Ça dépend des endroits. Mais ici je vois une sorte de musique céleste. Avec des notes qui n’existe pas pour les hommes. C’est très difficile à expliquer. Je vois tout sans rien voir. Je l’imagine et pourtant c’est bien là. Je sais quelles œuvres étaient à quel endroit. Ici il y avait un retable. En or. Avec des couleurs si lumineuses. Et pourtant je ne les vois pas mais mon esprit si. C’est comme dans un rêve puisque je ne peux pas les toucher. Mais je sais que tout est là encore. Cluny est un lieu hors du commun. Il influencera le monde pour des siècles encore.

Alexis ne cessait pas pendant ce moment là de la contempler. Elle semblait si différente. Beaucoup moins froide et inaccessible. Presque humaine. Et pourtant…

Elle se tourna vers lui, les yeux brillants de joie et de plaisir.

Tu doutes ?
Pas du tout. Au contraire. Mais… comme je ne vois rien…
J’imagine. Je me rappelle quand j’ai découvert ce don… devant les pyramides… cet immense tube si lumineux qui s’élevait vers le ciel. Et j’étais la seule à m’en préoccuper alors. J’arrivais avec ma cours. J’étais loin d’être jeune ou naïve. J’avais déjà été reine. Mais là… tout était si différent et impressionnant.
Tu as appris tout ça comment ?
Callimaque de Cyrène. Poète de mon pays. Il venait consulter des papyrus à la Grande Bibliothèque. A l’époque déjà avec mon époux… disons que je n’étais pas tenue de rester auprès de lui. au contraire. Donc je passais mon temps là bas. Et à peine était il rentré… Que nous nous sommes reconnus. Notre don nous permet de reconnaître ceux qui ont un lien avec Ley Lines. Et nous préserve aussi. Personne ne peut pénétrer notre esprit. C’était étrange et merveilleux de découvrir quelqu’un comme soi. On se sent moins seul, on comprend enfin ce qu’il se passe autour de nous !
Et… c’est inné ?
Oui…

Elle se mit à ricaner. Lui qui la persécutait depuis des années il voudrait de tels dons ?

Jaloux ?
Un peu… j’aimerais pouvoir lire les esprits ou… Voyager à ma guise dans ces Ley Lines.

Ils continuaient à déambuler. Ils faisaient le tour de l’abbaye dans tous les sens. Une fois Bérénice touchait une pierre, l’autre fois elle effleurait un caillou qui affleurait dans le sol. Alexis la regardait faire sans broncher, visiblement hésitant. Elle était folle ? Illuminée ? Ça paraissait si étrange.

Une première journée passa comme ça. Au demeurant elle avait été rapide, Bérénice faisant quelques confessions sur ses nombreuses vies, lui racontant des anecdotes amusantes ou des situations parfois plus tristes, sans pour autant dévoiler ses plus grandes joies ou peines. Ces sentiments là elle les gardait pour elle, comme un jardin secret à préserver. Ils étaient des armes trop puissantes sur elle.

Ils dormaient dans une auberge de la ville où Bérénice avait ses habitudes. C’était un établissement ancien et réputé. Bérénice, au fil des années, se faisait passer pour la nièce ou la petite fille de son ancienne vie. Elle savait très bien y faire pour que les gens la croient. Et puis la ressemblance variait. Il suffisait de se teindre les cheveux par exemple. De se faire discrète une décennie. Un peu d’organisation suffisait.

Alexis put profiter des avantages à la connaître. Chambre spacieuse, bien située, service d’étage. Le luxe pour un hôtel qui de façade ne payait pas de mine. Il s’en étonna d’ailleurs.

Ce sont des Amis. Ils ne savent pas tout. Mais ils comprennent que je fais des recherches pour l’Université de Mycènes. Ça leur suffit. C’est comme un mot de passe pour eux.
Ils ne savent pas ce que sont les Ley Lines ?
La grand-mère de la gérante en savait le sens. Mais rien de plus. Elle a préféré taire à ses enfants ce qu’elle savait. Elle se disait que s’ils en savaient trop, ils chercheraient à en savoir plus. Comme aucun d’eux n’a un don, ils auraient pu sombrer dans la folie à ne pas comprendre.
Je vois. Et toi ? Ils ne savent rien non plus ?

Bérénice se mit à rire.

Moi ? Non rien. Je travaille pour l’Université. Ça leur suffit. Inutile de savoir que je suis en partie l’Université. Enfin une sorte de titre honorifique au… plus vieux membre de cette Institution. Je suis une Ancienne mais bon… je n’ai pas d’apprentis ou autre. Je dois faire vilain petit canard aux yeux de mes… Confrères et consœurs.

Bon… On y retourne ?

Une fois le petit déjeuner pris, ils retournèrent sur les fondations du monastère. Bérénice s’arrêta net.

Quoi ? tu as trouvé quoi ? Une pâquerette ?
Non… regarde.

Elle pointa du doigt une sorte de fissure dans le sol.

C’est une faille ? Petite non ? Et alors ?
Je ne sais pas mais… Viens… on creuse.

Curieuse de cette érosion soudaine du sol, Bérénice se mit à gratter le sol, aidée rapidement par Alexis. Leurs mains se mélangeaient, se ralentissaient sans doute mais la curiosité, l’espoir d’une petite découverte les motivait davantage.

Finalement…

C’est… une pièce d’or ?
oui…

Bérénice tenait dans ses mains une pièce couleur du soleil, recouverte de terre.

Mais enfin ça n’apparaît pas comme ça.
Ça ne va pas.
Quoi ?
ce sont… des sesterces.
C’est gaulois cette monnaie non ? je croyais que Cluny datait du IXè siècle. Ce ne sont pas encore les francs mais cette monnaie là n’existe plus.
Il me semble aussi. Mais je ne vois qu’une façon d’en être sure.

Il soupira.

Je suppose que l’escapade est finie et que nous rentrons.
Oui… Nous allons à Paris. Je vais aller voir un… vieil ami.

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