Los Angeles

1. "Strict Machine"

La carrosserie de la limousine noire étincelait sous l’éclairage de la ville à cette heure tardive de la journée. Le chauffeur de l’automobile avait attendu patiemment l’arrivée de sa cliente, bien avant que l’avion n’atterrisse. Il valait mieux pour lui avoir un peu d’avance plutôt que de la faire attendre. A présent, il la conduisait jusqu’à sa villa dans les beaux quartiers de Berverly Hills, si tout se passait bien, ils atteindraient la villa, dans une vingtaine de minute. Concentré sur la circulation, il ne prêta pas attention à la sonnerie du téléphone portable qui résonnait à l’arrière.

- oui, allo?
..
- Philippe, oui je viens d’arriver.. j’y serai dans quelques minutes, oui.
…
- Quoi il refuse de poursuivre cette affaire? Je ne lui demande pas s’il est ok ou non, cela va se faire de toute manière.. oui.. Et au sujet de notre affaire ? Oui? Vous savez où il se trouve? Parfait, tu es encore aux bureaux? ok, je fais un saut.. à tout de suite…

La jeune femme se pencha un peu en avant, après avoir raccroché, et s’adressa à son chauffeur.

- George, veuillez me conduire au Scott’s Building.
- Bien milady.

Le chauffeur ne se permit aucune question, mais cela ne l’empêchait pas de s’interroger au sujet de cette visite soudaine aux bureaux de la Dark Corporation à une heure aussi tardive, surtout que Lady Dark lui avait bien signifié que ce voyage en avion l’avait indisposée. Cela devait être très important, mais il n’en saurait de toute manière rien de plus. Il bifurqua à droite à la première intersection et peu de temps après, la limousine venait se garer juste devant l’immeuble.

Aussitôt un homme ouvrit la portière de la limousine, grande brute aux muscles impressionnants sous le costar impeccable. Il n’était pas seul, quatre hommes entourèrent la femme qui glissait avec grâce deux jambes au galbe parfait, hors de la voiture. Une main se tendit courtoisement pour l’aider à se redresser. Et Lady Dark fit son apparition sur l’asphalte de Los Angeles, toujours aussi superbe dans sa robe tailleur rouge, chaussures à talon assorti, jusqu’à sa bouche brillant du même éclat écarlate. Une pochette assortie à la main, la jeune femme se dirigea de sa démarche de top model, jusque vers les hautes portes tournantes, avec son éternelle escortes de gardes du corps sur ses talons. Ces derniers jetèrent un dernier regard acéré alentours, avant de se glisser à la suite de leur patronne dans l’immeuble pratiquement désert à cette heure tardive.

Tels des chiens de gardes, ils se figèrent, bras croisés sur le devant de leur costume de chaque côté de la jeune femme, alors qu’ils attendaient l’ascenseur. Puis dans une parfaite synchronisation, pénétrèrent à la suite de Lady Dark, jusqu’à ce que les portes se refermassent sur cet étrange cortège.

2.

La jeune femme ne se dirigea pas vers le bureau de Philipe mais savait qu’il l’attendrait déjà à son propre bureau. Laissant ses fidèles chiens de garde devant la porte, Crystal pénétra dans la pièce élégante qui lui servait de bureau, élégante, chic, moderne, tout à fait à l’image d’une jeune femme d’affaire, ou plutôt d’une veuve richissime ayant hérité d’un empire de la mode. Elle alla directement s’installer dans son fauteuil et tout en déposant sa pochette sur la surface de son bureau, elle s’adressa à l’homme qui s’était tourné à son entrée, debout devant la grande baie vitrée.

- Bon voilà je suis là.. Alors qu’as-tu de nouveau à m’apprendre Philippe?
- Bonsoir Crystal…
- oui bonsoir..
- j’espère que tu as fait bon voyage?
- tu penses que j’ai fait un détour depuis l’aéroport pour te dire comment était mon voyage? Exécrable si tu veux tout savoir. Viens en au fait s’il te plait.
- oui bien sûr. désolé.. On sait où se trouve le Rôdeur.
- oui tu me l’as dit au téléphone, mais encore?

Crystal saisit un stylo dont elle tapotait le rebord du bureau avec, signifiant clairement son impatience.

- Il est en Australie. On le sait sur une affaire là-bas à Urulu.

Le regard de la jeune femme s’alluma aussitôt d’une étincelle d’intérêt.

- Mû?
- nous ne savons pas, il a pris une chambre dans un motel à Alice Springs.
- bien bien… vous vous êtes bien renseigné.. Mais je ne vais quand même pas me rendre dans un bled paumé au beau milieu de l’Australie…

Philippe ne montra aucun signe de surprise. Autant il savait sa patronne, marcheuse de rêve confirmée, une initiée comme on disait dans le jargon, autant il savait la répugnance qu’elle avait à emprunter les Ley Lines. Il était clair que les talons ne se prêtaient pas à ce genre de sortie. Cette idée amena un sourire amusé sur le visage du bras droit de Lady Dark.

- Une paire de talon mène parfois plus loin que ce qu‘on peut imaginer, et ils me servent à mener des hommes comme toi en haut des marches.

Ce dernier perdit aussitôt son sourire, il avait tendance trop souvent à oublier qu’elle savait lire ses pensées.

- Dois-je leur demander de te l’amener?
- hm tu comprends vite.. Seulement, ça ne serait pas très poli. Ce Rôdeur, n’accepterait-il pas un rendez-vous dans un endroit civilisé?
- j’en doute fort, ma chère. C’est un marcheur de rêve..
- oui mais indépendant.
- mais de là à marcher avec nous..

Crystal plongea ses yeux d’un bleu perçant dans ceux de Philipe.

- de là à marcher avec toi..
- hm il faudrait peut-être l’aider un peu à se décider dans ce cas.. Je te fais confiance, Philipe pour faire le nécessaire. Je souhaite le rencontrer le plus tôt possible.
- je m’en occupe.. tu peux compter..
- sur toi, je sais. C’est bien pour ça que tu es mon plus fidèle assistant. Bon, je suis épuisée, et on m’attend chez moi…appelle-moi dès que tu as du nouveau.
- ok.. je te souhaite une bonne nuit Crystal.
- hm c’est ça. bonne nuit Philippe.. ne rêve pas trop..

Le ton avait été ironique, comme souvent, mais Philipe n’allait pas se formaliser pour si peu. Il la regarda quitter le bureau, pour se décider lui-même à rentrer chez lui, dans son appartement triste et sombre..

3.

Debout devant la grande baie vitrée de son salon, Crystal regardait sans le voir, le jardin, perdue dans ses pensées, aspirant de temps en temps une bouffée de fumée de la cigarette qu’elle tenait dans une pause élégante de femme d’affaire. Aucune sonnerie de téléphone n’avait interrompu la tranquillité de cette après-midi, aucune, car sa secrétaire et le majordome avaient reçu des recommandations très strictes. Personne ne la dérangerait alors que Rick se trouvait à la maison. Elle avait voulu profiter de quelques instants seule avec son fils, mais comme d’habitude, après avoir passé deux heures à être la seule à s’exprimer, Crystal avait baissé les bras et avait appelé Veronica.

La jeune fille était aussitôt venue s’occuper de Rick, l’emmenant dans sa salle de jeu, laissant derrière eux, une jeune mère démoralisée. Mais ces instants ne duraient pas, comme à chaque fois, Crystal se reprenait, détestant se laisser aller ainsi. Seulement après, elle restait d’humeur maussade, voir exécrable si le moindre évènement venait la contrarier un peu plus.

C’est donc dans cet état d’esprit qu’elle se trouvait quand la sonnerie du téléphone raisonna brusquement dans le silence de la villa, faisant sursauter Crystal qui jeta un regard venimeux à l’appareil, avec soudain une folle envie de le faire voler en éclat. Mais bien sûr, elle n’en fit rien, au lieu de quoi elle se détourna, attendant que Pierce son majordome répondit sur l’autre appareil. Et quelques instants plus tard, il paraissant à l’entrée du salon.

- Milady? C’est un appel important du bureau.. Monsieur Neuville dit que vous attendiez son appel.

Crystal se tourna alors vers le majordome. Si c’était Philippe qui l’appelait, alors oui elle attendait ce coup de fil depuis plusieurs jours.

- Bien, merci Pierce.

Le majordome se retira aussitôt afin de laisser sa patronne converser tranquillement avec son assistant.

- Philippe?
- Bonjour Crystal, j’ai de bonnes nouvelles pour toi.
- oui?
- le Rôdeur est en route, il devrait arriver d’ici une heure ou deux.
- déjà? C’était rapide.
- oui, je sais que tu n’aimes pas attendre.
- il a été coopératif?
- euh non pas trop.
- je vois.. bien, j’arrive. à tout de suite..

Et Crystal raccrocha avant de monter dans sa chambre se changer. Tant pis pour ses résolutions, il y avait des priorités. Elle se rendrait donc à son bureau puisqu’ils attendaient un visiteur important. Après avoir enfilé une robe courte à la coupe classique, noire, elle alla trouver Veronica qui jouait encore avec son fils. S’appuyant contre le cadre de la porte, elle les observa jouer un instant, en silence…Veronica était une gentille fille qui était faite pour ce métier, elle savait comment s’y prendre avec Rick et ce dernier semblait l’apprécier, à sa manière.

- Véronica? Je m’absente, j’en ai pour quelques heures, je le crains.. Mais je reviendrai pour le voir quand il sera couché.
- bien madame.
- Rick? à plus tard, d’accord?

Crystal attendit que son fils la regarda, mais il continuait de faire rouler sa voiture sur le sol. Elle insista:

- Rick? tu me dis au revoir?

Elle fit un signe, mais il ne réagit pas. Ce fut Veronica qui se pencha et lui soulevant gentiment le menton, lui fit en souriant.

- Rick dis au revoir à maman.

Il croisa alors un bref instant le regard de sa mère puis alors qu’il baissait déjà les yeux, il agita sa main pour lui dire au revoir, sans plus lui accorder plus d’attention. Veronica adressa un sourire encourageant à Crystal qui soupira et tourna le dos.. Elle avait un rendez-vous qui l’attendait. Et tandis qu’elle ouvrait la porte pour sortir de chez elle, son escorte l’attendait déjà aux côtés de la limousine.

4.

Avec sa détermination habituelle, Crystal s’avança dans le hall de la Dark Corporation. Philippe l’attendait sans doute dans son bureau et sans tarder, la jeune femme se dirigea vers celui-ci, poussant la porte pour retrouver son assistant qui se tourna pour lui faire face. Crystal s’installa dans son fauteuil et alluma une cigarette, appuyant ensuite nonchalamment son coude sur le bras de son siège.

- Bonsoir Crystal.
- Philippe.. alors notre invité est arrivé?
- oui, il est en bas, je pensais que cela vaudrait mieux.
- pourquoi? nous n’avons rien à nous reprocher.
- mais je pensais que…
- tu penses trop… Fais le venir.
- bien, comme tu voudras, tu as sur ton bureau son dossier, il y a là quelques renseignements utiles à son sujet.
- merci..

Philipe la dévisagea un bref instant avant d’appeler sur son téléphone portable.

- oui c’est moi.. faites le monter aux bureaux de Lady Dark. Oui, tout de suite.

Il raccrocha.

- Ils arrivent..
- tu l’as vu?
- oui..
- il ..est comment?
- tu peux regarder dans le dossier, il y a des photos. Nos hommes l’ont suivi pendant plusieurs semaines. Ce gars là ne tient pas en place.
- hmm

Crystal se pencha au dessus du dossier qu’elle ouvrit et le parcourut rapidement. C’était un homme séduisant, au look un peu cowboy? Dans le genre décontracté, on ne pouvait faire mieux. Les photos le montraient tantôt un sac à dos sur l’épaule, tantôt à la table d’une terrasse en train de boire un verre avec des gens de la région, à voir leur style et leurs visages aux traits typiques des aborigènes. D’après le dossier, il s’agissait bien de l’homme qu’elle cherchait, un homme difficile à rencontrer, vu ses qualifications très particulières. Car sa connaissance de l’histoire de l’anima, des marcheurs de rêve et des mondes oubliés en faisaient un marcheur de rêve exceptionnel. Mais les recherches de Crystal lui avaient appris autre chose à son sujet qui le rendait si intéressant à ses yeux. ..
La porte s’ouvrit soudain sur ce mystérieux visiteur que deux hommes solidement bâtis faisaient entrer dans la pièce. Aussitôt, il posa son regard sur elle et son regard refléta la colère.. Crystal lut dans ses pensées comme dans un livre ouvert.

- Oui, c’est moi qui vous ai fait venir ici… Enchantée monsieur Jones, permettez que je me présente, Crystal Dark, mais on me connaît plus comme Lady Dark.

La jeune femme s’était levée pour aller tendre la main à l’homme qu’on avait fait asseoir dans le fauteuil en face d’elle. Mais il refusa de la serrer.

- Jamais entendu. Pourquoi je suis là?

L’homme n’avait pas cillé alors qu’elle venait de lire ses pensées. Bien au contraire, il affichait une froide indifférence à un nom qui de toute manière ne lui évoquait rien.

- hum.. vous détenez des informations qui m’intéressent.
- voyez-vous cela! Elles doivent drôlement vous intéresser pour m’avoir fait enlever par cette bande d’abruti.

Crystal fit une légère grimace, elle espérait que ces abrutis comme il disait, avaient été correct, même s’ils avaient du lui forcer un peu la main.

- Je suis navrée d’avoir du utiliser les grands moyens, mais il me fallait absolument vous rencontrer et… je ne crois pas que si je vous avais simplement invité, vous auriez accepter de venir, ou de me rencontrer?

Elle sourit alors qu’il la dévisageait des pieds à la tête. Elle aurait eu une chance, s’il avait su dès le départ qui l’avait invité. Mais à présent, il s’était fait une opinion guère flatteuse à son sujet, du moins sur sa façon d’agir.

- vous marquez un point, mademoiselle Dark.. J’aurais refusé en effet. Bon alors quelles sont ces informations qui vous tiennent tant à cœur? Qu’on en finisse.. Vous avez interrompu une partie de poker très intéressante.

Il lui sourit d’une manière narquoise, mais Crystal ne s’en formalisa pas. Face à lui, elle s’appuya sur le bord de son bureau, et croisa un bras sous sa poitrine tandis que l’autre tenait encore une cigarette. Elle aspira une bouffée de sa cigarette et expira lentement, se prenant le temps de lui répondre.

- Si je vous parle de Dennis Harper, ce nom évoque-t-il quelque chose pour vous?

Le Rôdeur resta silencieux, il avait compris qu’elle avait la faculté de lire ses pensées, mais ne put cacher une infime réaction.

- bien! donc vous êtes au courant que lui et plusieurs des marcheurs de rêve avaient commencé un journal ensemble, ou plutôt un livre…
- Ce livre n’est qu’une légende!

Crystal eut un sourire diabolique.

- Vous mentez monsieur Jones!
- alors pourquoi m’en parler? si vous avez déjà toutes les réponses?
- non justement je ne les ai pas, mais vous vous les avez!
- haha non non, je n’ai pas cette présomption.
- je sais que vous êtes au courant de l’existence de ce livre.
- possible..

Bien, au moins n’essayait-il plus de nier..

- mais si vous croyez que je vais vous en apprendre plus.
- Nous pourrions faire affaire, monsieur Jones, ou dois-je vous appeler le Rôdeur?

Il la regarda avec cette même colère qu’elle avait perçu en rentrant.

- J’ignore qui vous êtes Lady Dark, mais je sais que jamais je ne ferai affaire avec vous.
- vous avez tord.. je sais que vous ne roulez pas sur l’or et une simple petite réponse à une simple petite question vous rapporterait beaucoup.
- vous pensez pouvoir m’acheter avec tout votre fric?
- je pouvais essayer, répondit-elle après avoir lu dans son esprit la réponse à sa question.

Crystal saisit le dossier que lui avait préparé Philipe. Elle feuilleta quelques pages avant de tomber sur une photo qui avait attiré son attention. Une jolie fillette d’une dizaine d’année à peu près s’amusait dans un parc. Crystal la montra au Rôdeur..

- jolie petite.

Elle n’eut pas besoin de lire dans ses pensées pour deviner ce qu’il pensait en ce moment même.

- Si vous touchez à un seul de ses cheveux, cracha-t-il avec rage, tentant de se redresser, mais les hommes de mains furent prompt à le faire rassoire. Crystal regagna son fauteuil dans lequel elle s’assit avec élégance, croisa ses jambes, et pris un air indigné pour lui répondre.
- Je n’y avais même pas songé, monsieur Jones! Quelles horribles intentions vous me prêtez! Par contre, … je sais que vous souhaiteriez la revoir et que votre ex-femme ne vous y autorise pas.
- je vois…

Crystal eut un sourire victorieux, il baissait sa garde.

- Je vous propose de prendre rendez-vous avec l’un de nos meilleurs avocats, il est spécialisé dans les cas de divorce et vous obtiendra un droit de visite pour commencer, mais..

Elle attendit qu’il redressa la tête pour terminer.

- à la condition que vous répondiez à cette simple question, monsieur Jones..

Leurs regards se croisèrent, s’affrontant dans un combat silencieux, il soupira.. Il ne pouvait pas refuser une telle opportunité, il lui suffisait juste de répondre à une question et elle le laisserait tranquille.. Elle le savait, il le savait.. Le Rôdeur répondit après un lourd silence.

- je vous écoute..
- dites moi où le livre se trouve, monsieur Jones, et mes avocats vous aideront.

L’homme semblait las soudain, il ne pouvait plus reculer à présent.

- La confrérie le garde précieusement caché ..
- ou?
- à l’université Mycéenne.. C’est tout ce que je sais!

Silence… Crystal semblait réfléchir, mais personne n’était dupe..

- C’est bon, Philipe, je te laisse appeler Maître Darieux, et prendre rendez-vous pour monsieur Jones quand ça l’arrange..

Crystal se leva à nouveau tandis que le Rôdeur en faisait de même. Elle s’avança vers lui et dans un dernier sourire, lui lança:

- Je vous remercie pour cette précieuse information, monsieur Jones. Peut-être nous reverrons nous bientôt…
- je ne le souhaite pas!

Crystal lui sourit et quitta la pièce sans attendre. Elle avait promis d’aller embrasser son fils avant qu’il ne dorme.

5.

Quelques jours après, dans le bureau de Crystal, elle avait convoqué Philipe afin d’avancer sur l’affaire concernant le livre. Grâce au Rôdeur, elle avait appris qu’il se trouvait à Mycènes, mais le problème majeur restait à présent d’infiltrer l’université afin d’approcher le livre, mais l’affaire ne serait pas simple, car il leur fallait vraiment quelqu’un de compétent pour ne pas attirer sur eux l’attention de la confrérie. Philipe soupira :

- Il nous faut quelqu’un sur place, pour s’infiltrer dans l’université sans éveiller les soupçons. Car à la moindre inquiétude, les marcheurs risquent de faire déplacer le livre, et alors tout sera à recommencer.

Crystal assise derrière son bureau, ses jambes élégamment croisées, pivota sur son siège pour faire face à Philipe, son assistant.

- Alors tu me suggères quoi ? Je ne peux pas m’y présenter en personne. Ils me connaissent et se méfieraient aussitôt de me voir là-bas.
- ils ne peuvent pas deviner que tu y vas pour cette raison. Tu as après tout gardé des contacts avec des gens de la confrérie.
- Certes, mais je ne veux prendre aucun risque.
- tu aimerais que l’on envoie l’un de nos hommes ?
- hmm l’idéal serait quelqu’un d’assez jeune pour se faire passer pour l’un de leurs étudiants, quelqu’un qui ait le pouvoir d’acquérir les renseignements qui m’intéresse. Il nous faut un marcheur, Philipe, et aucun des hommes qui travaillent pour nous, ne possède de pouvoir. Non, il me faut vraiment qu’un qui ait de l’expérience.
- tu as l’air d’avoir ton idée à ce sujet.

Crystal caressa lentement le coin de sa bouche, accoudée à son fauteuil, dans une attitude de réflexion.

- moui, possible. Tu peux disposer, Philipe. Je t’appellerai dès que j’ai du nouveau.

Philipe resta un instant immobile, observant Crystal, ne cachant pas sa surprise. De toute évidence, elle ne lui faisait pas assez confiance pour lui en dire plus au sujet de son idée. Elle leva les yeux vers lui, et eut cette expression qu’il commençait à reconnaître. Il avait encore oublié de maîtriser ses pensées.

- Il y a des choses dont je préfère m’occuper personnellement, Philipe. Laisse-moi à présent s’il te plaît.

Il s’exécuta, un rien contrarié, mais elle n’en avait cure, et après avoir attendu quelques minutes une fois la porte refermée, Crystal décrocha son téléphone. Elle composa un numéro dans les bips des touches résonnèrent à ses oreilles, et attendit quelques sonneries avant qu’une voix féminine ne réponde. Elle s’exprima alors dans un français teinté de cet accent si américain.

- Hello darling !
- Crystal ? Ça pour une surprise, figure-toi qu’il y a quelques jours je pensais justement à toi !
- oh tu as peut-être deviné que j’allais t’appeler ? dit-elle sur le ton de la plaisanterie. Un rire lui répondit.
- en fait non, c’est en regardant la vasque que tu m’avais apportée du Japon.
- ah oui, je m’en souviens. Bon si je t’appelle tu te doutes que ce n’est pas pour parler porcelaine ?
- oui bien entendu, alors que puis-je pour toi ma belle ?
- il me faut un marcheur de rêve.

Un rire se fit entendre à l’autre bout de la ligne.

- ha oui ? Et que veux-tu en faire ?
- Pas ce à quoi tu penses. Loraine, je sais que tu as des relations avec des marcheurs renégats qui sont proches de la confrérie, prêts à être payés pour quelques extras. J’aurai une mission très intéressante à lui confier.
- quelle genre de mission ?
- opération d’infiltration. Écoute, je ne peux pas t’en dire plus pour l’instant. Regarde si tu connais quelqu’un de compétent et de libre pour travailler pour moi, et tu sais qu’en échange, je serai prête à te rendre tous les services que tu souhaites.

Ces derniers mots provoquèrent une exclamation surprise de son interlocutrice qui répondit sur un ton malicieux.

- Et bien ! Ce genre de proposition ne se refuse pas. N’importe quel service dis-tu ?

Crystal fit pivoter son fauteuil face à la grande baie vitrée de son bureau. Elle ne souriait pas, s’attendant à la pire des demandes de la part de son amie.

- sans abuser, bien sûr.
- hm.. Serais-tu prête à participer au gala de bienfaisance que j’organise chaque année ? Il a lieu dans un mois justement et.. hum.. Il serait possible cette année que j’organise une vente à l’enchère.
- une vente à l’enchère ?
- oui, mais pas d’antiquité, juste le droit de passer toute une soirée en compagnie d’un galant homme.
- Oh !! Loraine ! Tu es incorrigible !
- ma foi, il fallait bien que je trouve les arguments pour te convaincre !

Crystal se détendit et rit à son tour avant de lui répondre :

- Soit ! J’accepte ton invitation, et ..Si tu peux m’envoyer un petit dépliant des hommes proposés à l’enchère, ajouta-elle sur un ton complice.
- pas de problème ma chérie ! Dès que j’ai trouvé les messieurs qui voudront bien participer à ma petite fête. Et à présent que j’ai dans ma liste d’invités de marque, la célèbre Lady Dark, ça ne devrait pas être trop difficile.

Crystal éclata de rire cette fois. Loraine n’avait pas son pareil pour organiser ce genre de soirée mondaine, et elle appelait ça, une petite fête. Il fallait bien s’attendre à deux cent invités, au moins ! Elle remercia son amie et après lui avoir fait promettre de se charger rapidement de l’affaire que Crystal lui avait confiée, elle mit fin à la conversation.

1.


C’était une froide soirée d’hiver et le genre de soirée où le mariachi avait tendance à replonger dans la nostalgie des souvenirs de son pays. Que son pays lui manquait quand il faisait si froid et que le temps était triste, alors que là-bas, même en hiver, le soleil brillait haut dans le ciel. Alors ces soirs là, il n’y avait qu’un moyen d’éviter d’être submergé par la mélancolie. Esteban avait saisit sa guitare et installé face à la baie vitrée de leur suite, à Chicago, il grattait les cordes de son inséparable amie et lui arrachait une vieille mélodie qui lui rappelait de doux souvenirs d’enfance.

Absorbé par sa musique, il prêta à peine attention à la porte qui s’ouvrait, mais il savait que c’était Miguel qui rentrait, sinon son sixième sens l’aurait averti. Le mariachi continua donc d’égrener les douces notes de musiques, tandis que Miguel entamait la conversation avec Ricky.

- On a peut-être une nouvelle affaire qui se présente.
- ah ! Bonne nouvelle ça ! Je commençais à en avoir assez d’attendre ici. Hey Esteban tu entends ça ? Miguel nous a peut-être trouvé un nouveau contrat. Alors raconte ! De quoi s’agit-il ?
- un message sur notre répondeur.. Une certaine Loraine De Fronsac. Elle a une affaire à nous proposer.
- et ?
- et rien.
- quoi c’est tout ?
- elle a laissé un numéro où rappeler, si on veut en savoir plus. Elle a juste préciser que notre cliente était à Los Angeles et que si on était intéressé, fallait rappeler rapidement.

Esteban cessa soudain de jouer, et plaqua sa main sur les cordes.

- Loraine de Fronsac ? une française ? tiens donc..
- Los Angeles, il y fait bien meilleur qu’ici.. roh un peu de soleil, ça serait chouette, pas vrai frérot ?

D’un vif mouvement, Esteban se redressa et sourit à son jeune frère.

- Il va d’abord falloir en savoir un peu plus sur cette affaire, avant d’aller voir cette cliente.

Miguel et Ricky hochèrent la tête, mais dans leurs regards brillait déjà cette lueur d’intérêt comme à chaque nouvelle affaire qui s’annonçait.

6.




- Milady ?

Crystal leva les yeux sur son majordome, soufflant un nuage de fumée, alors qu’elle était confortablement installée sur un profond canapé, cigarette dans une main, et verre de cognac dans l’autre, avec en arrière fond, un morceau de musique classique.

- oui ?
- un appel international pour vous.
- bien passez-le moi.

Pierce lui tendit le combiné sans fil et se retira discrètement alors que Crystal s’adossait à nouveau contre le cuir souple.

- ici Crystal.
- Crystal ma chérie, c’est moi Loraine !
- ah Loraine ! Alors tu m’appelles pour de bonnes nouvelles ? Au fait j’ai reçu ton petit catalogue, quand est-ce déjà, ce gala ?
- dans dix jours ! Contente qu’ils te plaisent. Et oui j’ai de bonnes nouvelles, enfin je l’espère.
- ah ? raconte moi.
- En fait j’ai fais pas mal de recherche d’après les critères que tu m’avais demandés à notre dernière conversation et j’ai pas trouvé grand monde qui y réponde.
- et tu appelles ça une bonne nouvelle ?
- c’est que finalement j’ai songé à quelqu’un et si on fait exception de son âge, je sais qu’il saura remplir cette mission.
- quel âge ?
- trente sept ans.
- trente sept ??!! Mais jamais il ne réussira à se faire passer pour un étudiant !! Tu sais que je comptais là-dessus !
- pour un étudiant non, mais peut-être pour un professeur, ou encore un gardien, j’ai fait des recherches, et ils proposent un emploi de gardien en ce moment.
- Loraine !!
- quoia ? après tout l’important c’est juste que tu aies quelqu’un sur place, peu importe le rôle qu’il ait à jouer en couverture. Du moment qu’il te donne tes infos.
- oui, je sais, mais Loraine, je n’accepterai pas un échec, ce n’est pas envisageable et tu le sais.
- je le sais, et je te promets que ce type saura remplir son contrat. J’ai déjà pris contact et il est très intéressé.
- qui est-ce ?
- On l’appel le mariachi.. je te faxe son dossier, tu verras par toi-même. Bon euh on m’appelle, je te laisse.
- mais attends ! Lorraine ? et comment je prends contact avec lui?

Mais seul la tonalité neutre du téléphone lui répondit, elle avait déjà raccroché. Quelques instants plus tard, dans son bureau, le fax ronronnait et lui livrait le cv des plus particuliers du Mariachi. Crystal en saisit un des feuillets et s’assit sur le bord de son bureau. La photo la laissa songeuse, mais à la lecture du texte qui l’accompagnait, elle ne retint pas une exclamation.

- Mais elle est folle !! Elle m’envoie un tueur à gage !

2.


Esteban ferma derrière lui la porte de la chambre d’hôtel qu’ils avaient prise à Los Angeles. Ils étaient là depuis deux jours, et hier, il avait mené sa propre enquête sur cette fameuse Lady Dark. Il sourit, c’était une sacrée cliente qu’on lui proposait là, et ce qu’elle demandait était à la portée du mariachi. Mais ce qui les avait intéressé avant tout, était la prime qu’elle offrait pour ce contrat. La lady était riche et elle avait les moyens de s’offrir les services des meilleurs, en l’occurrence lui et ses frères.

Le mariachi vérifia l’heure à sa montre, il était juste dans les temps. Il regarda à droite puis à gauche, et attendit à l’angle de la rue où il avait rendez-vous d’ici quelques minutes avec la lady. Alors il s’appuya contre un lampadaire et alluma une cigarette en attendant. La luxueuse limousine ne tarda pas surgir au bout de l’avenue et Esteban attendit qu’elle stoppa juste devant lui pour ouvrir la portière et se glisser dans le véhicule.

- Hey, mais qu’est-ce que vous faites ???
- bonjour milady, mes hommages, répliqua Esteban avec la plus grande décontraction, malgré les airs stupéfaits de la dame. Permettez que je me présente, je suis celui qu’on appelle le mariachi.

Assis à côté de la belle, il lui offrit son plus beau sourire, et se dit qu’elle était encore mieux en vrai que sur les photos. Il lui tendit la main, attendant qu’elle veuille bien la serrer, mais d’après la mine de Lady Dark, elle ne semblait pas apprécier la petite plaisanterie.

7.

Absorbée dans ses pensées, Crystal n’avait pas tout de suite prêté attention au parcours différent qu’ils empruntaient pour revenir à la villa. Ce n’est qu’après avoir parcouru la moitié du chemin que Crystal réalisa tout à coup que son chauffeur avait emprunté un autre itinéraire. Elle se pencha légèrement en avant afin d’interroger Sam sur la raison de ce détour.

- Sam ! mais pourquoi faites-vous un détour ? Sam !! Je vous parle bon sang !

Mais son chauffeur restait stoïque, un peu trop au goût de Crystal qui était habituée à être écoutée au premier son de voix. Et c’est au moment où elle réalisait qu’il ne s’agissait pas de son chauffeur qu’elle entendit son rire, il riait en pensée, il riait d’elle.. Elle avait été si facile à berner. Crystal vit rouge.

- Vous n’auriez pas su me berner longtemps ! A présent j’exige que vous vous arrêtiez, ou vous pourriez bien regretter de m’avoir tendu ce piège.

Crystal eut au moins la satisfaction de voir le visage du jeune homme afficher la surprise la plus totale. Mais elle ne dura pas.

- Allons, relax ma p’tite dame, on est presque arrivé.
- Arrêtez vous immédiatement ! c’est un ordre !

Et à peine prononçait-elle ces mots que son faux chauffeur, en fait le jeune frère du mariachi, crispa ses mains sur le volant, foudroyé par une forte migraine. Il freina aussitôt, pour poser ses mains sur ses tempes, et juste après la portière s’ouvrait sur Esteban.

Crystal n’en revenait pas du toupet de cet homme. Elle l’avait reconnu au premier coup d’œil, un physique pareil, ça ne s’oubliait pas facilement, et son sourire était encore plus provocateur que sur la photo. Ainsi voilà qui expliquait ce pseudo enlèvement, soit, elle n’avait pas oublié la lettre que lui avait fait parvenir Loraine au sujet du mariachi, et il avait sans doute voulu l’impressionner en surgissant à l’improviste. La jeune femme se calla donc dans son siège, croisa ses jambes et dévisagea en silence l’homme qui attendait qu’elle prit la parole. Mais il n’était pas patient, elle sonda sans vergogne ses pensées et sourit en entendant ses appréciations.
Et cette fois, puisqu’il avait voulu jouer avec elle, Crystal décida qu’elle pourrait elle aussi jouer un peu avec lui.

- Ainsi, voici le fameux mariachi.
- si et voilà mon associé, quand à votre chauffeur, mon autre associé s’est occupé de le ramener chez vous.
- celui-là, il va m’entendre.
- non, ne le blâmez pas pour ça, il n’a rien pu faire pour l’empêcher.
- oui je suppose qu’on ne peut rien contre les trois terreurs d’Espagne ?
- On ne peut rien vous cacher.. ajouta le mariachi avec un sourire satisfait.
- hmm.. vous ne croyez pas si bien dire.

Puis elle se pencha vers le chauffeur, enfin l’associé et frère du mariachi.

- bon serait-il possible à présent de nous rendre chez moi ? A moins que votre associé ait une autre idée ?
- euh non non ça ira très bien.
- Paaarfait, vous me voyez ravie de l’apprendre !

Le ton parfaitement ironique n’avait pas échappé au mariachi et Crystal commença un peu à se détendre, oubliant la colère ressentie tout à l’heure. Elle le devinait moins sûr de lui et cette idée lui plaisait.

3.



Il devina très vite qu’il aurait affaire à forte partie avec cette Lady Dark, n’était-ce que sa façon de se tenir dans la vaste limousine. Elle avait croisé ses jambes sous son nez, en dévoilant par ce geste, leur galbe parfait. Le mariachi était un homme à femmes, et son instinct de chasseur fut aussitôt en alerte, il se trouvait face à du gibier de choix, mais il savait que cette proie ne se laisserait pas facilement attraper. Mais pour l’instant, il devait se concentrer sur la raison de sa présence dans cette voiture. Son entrée en scène n’avait pas du tout impressionné la jeune femme à part peut-être le fait de l’avoir un peu contrariée.

Mais le principal demeurait qu’elle avait à présent accepté sa présence, et comprit très vite à qui elle avait affaire elle aussi. Cela leur ferait gagner du temps. Satisfait, il constata qu’ils parvenaient à sa villa de Beverly Hills. C’était une bonne chose, elle aurait très bien pu choisir de le voir dans ses bureaux en ville, cadre bien moins intime que cette luxueuse villa qu’il découvrait. Il émit un sifflement.

- hé bien, les affaires semblent plutôt vous réussir !
- les affaires tournent bien oui.
- je suis flatté que vous daignez me recevoir chez vous, dans votre villa.
- ne vous fiez pas aux apparences, mariachi. Ma villa est mieux gardée qu’une forteresse.
- hm je vois ça..

Esteban jeta un coup d’œil aux caméras installées un peu partout, aux gardiens qui les avaient regarder pénétrer sur la propriété, le portail sécurisé, et d’autres gardes postés de part et d’autres de la villa. Il avait bien fait de choisir la limousine pour faire son entrée. Le mariachi ne remarqua pas alors le sourire de Lady Dark qui saluait son personnel, avant de se tourner vers Esteban, puis Ricky.

- Vais-je devoir vous recevoir tous les deux ? Et où se trouve le troisième larron de votre trio ?
- non, je vais gérer ça seul..

Puis Esteban ajouta en espagnol à l’intention de Ricky.

- tu peux lui dire de laisser partir le chauffeur, on se retrouve à l’hôtel.
- tu es sûr que tu ne veux pas qu’on t’attende ?
- non, il n’y aura aucun problème.
- okay frérot. On sait que tu vas assurer !

Ils échangèrent un signe discret et un sourire, puis Ricky jeta sa casquette de chauffeur sur le siège de la limousine avant de saluer Lady Dark et de quitter la propriété, avec la plus grande décontraction, faisant des gestes amicaux aux gardiens qui ne se départirent pas de leur masque de froideur.

- bon à présent, nous allons peut-être pouvoir passer aux choses sérieuses ?

Esteban se tourna pour dévisager d’un regard appréciateur la jeune femme, et lui adressa son plus beau sourire.
- avec plaisir !

Il ne cilla pas devant la fouille en règle qu’il subit par l’un des gardiens, et haussa les épaules avec désinvolture quand l’autre repéra l’arme glissé dans sa ceinture dans son dos.

- je ne sors jamais sans prendre quelques précautions..

Nouveau sourire désarmant.

8.

Crystal concéda un sourire, mais il n’atteignit pas son regard qui resta froid, malgré le charme du latino. Non, elle n’avait pas fait appel à lui pour la bagatelle, mais pour affaire, et celle-ci était de la plus haute importance. Comme elles l’étaient bien souvent quand il s’agissait de s’approprier une pièce pour sa collection. Mais non, ce livre allait au-delà du trésor ancien, c’était la clef de toutes les réponses et une fois que Crystal posséderait ce livre, elle posséderait un passe vers tous les mondes oubliés.. Inestimable trésor..

Pour cette raison, elle n’aurait pas droit à l’erreur et comptait bien engager le meilleur des renégats, celui qui lui ramènerait cet incroyable trésor. Et si le mariachi était l’homme qu’il lui fallait, tant mieux, mais il ne devrait pas la décevoir.

- C’est bon. Venez à présent, allons dans mon bureau, nous pourrons nous entretenir tranquillement de cette affaire.
- mais avec plaisir.

Et tandis que Crystal marchait devant lui en direction de son bureau, elle devina toutes ses pensées, et si elle avait été une prude bourgeoise, elle aurait rougit devant des pensées aussi dévergondées. Au lieu de quoi, elle se contenta de sourire, et poussa la porte de son bureau, avant de l’inviter à s’assoir.

- Puis-je vous servir quelque chose à boire ?
- un whisky volontiers.
- bien.. Et tout en leur servant à tous deux un verre, elle débuta cet entretien :
- Loraine m’a fait parvenir votre cv, et je dois avouer que la première fois que je l’ai lu, je me suis demandé pourquoi elle a pensé que vous pourriez décrocher ce contrat.
- simple ! Mademoiselle de Fronsac sait que je suis le meilleur.

Crystal avant de s’assoir, se pencha légèrement au dessus du mariachi, le jaugeant de toute sa hauteur.

- Ce n’est pas avec votre égo que vous réussirez cette mission, si je devais vous la confier.
- mon égo ? Qu’est-ce qu’il a ? Il est parfait comme ça.. Non, je vous assure, je suis le meilleur sur le marché. Sans me vanter, sérieux !
- vous êtes sans doute le meilleur tueur à gage sur le marché, mais permettez-moi d’avoir quelques doutes en ce qui concerne une mission d’infiltration !
- nann, quel bien vilain mot ça.. tueur à gage ! Je suis sûr que ce n’est pas ce qui était écrit sur le papier.
- non, mais.. Crystal lut dans ses pensées, et ajouta avec un sourire diabolique... vous reconnaitrez avoir abattu plusieurs personnes car il y avait un contrat sur leur tête, et que cela fait partie de vos attributions.

Elle le vit avec satisfaction froncer les sourcils.

- si, mais je ne fais pas que ça ! Sinon, ça deviendrait vite ennuyeux ! Et justement, j’espérais que vous me proposeriez quelque chose de plus corsé.. Le mariachi retrouva son sourire, croisant sa jambe sur son genoux.
- soit, vous avez peut-être les capacités pour mener à bien une infiltration.. Mais une chose est certaine..
- quoi donc ?
- vous n’avez plus l’âge d’entrer en université et.. elle le jaugea à nouveau.. Ni l’allure d’un étudiant.

Ce à quoi il lui offrit son plus grand sourire. Il ne renoncerait pas facilement, Crystal l’avait déjà deviné, comme elle devinait qu’il était peut-être celui dont elle avait besoin finalement.

4.

Esteban rit doucement, elle ne se laissait pas facilement convaincre la lady, mais il avait soigneusement préparé ses arguments et déjà réfléchi à tout ça. Il posa son verre sur la table basse entre eux, et se pencha en avant pour s’appuyer sur ses genoux.

- C’est vrai, j’ai passé l’âge de jouer aux étudiants, mais mon frère qui est plus jeune que moi, a répondu à une annonce passée à l’université pour devenir un des gardiens. Et croyez-moi, il obtiendra le poste..

Le sourire qu’il adressa à Lady Dark montrait qu’il avait plus d’un tour dans son sac. Mais à ce moment là, il ne pouvait pas se douter que Crystal lisait dans les pensées. Elle opina lentement de la tête et il poursuivit :

- mon autre frère Miguel servira de relais, lui c’est le roi pour s’infiltrer dans n’importe quel système de sécurité, quand à moi.
- oui ?
- je saurai m’infiltrer, mais à ma façon.. pour ça, je vous demande de me faire confiance, mais soyez assurée de recevoir toutes les informations que vous voudrez.

Il saisit son paquet de cigarette dans sa poche, en en sortit une et allait lui demander si la fumée la dérangeait quand elle devança sa question :

- je vous en prie.

Il haussa un sourcil amusé, mais n’insista pas et après s’être allumé sa cigarette, demanda :

- à présent si vous m’en disiez un peu plus au sujet de ces renseignements que vous voulez ? Ils doivent être drôlement importants pour que vous fassiez appel aux meilleures.

Encore une fois, il lui offrit son sourire, sûr de lui.

9.

Crystal observa cet homme si sûr de lui, mais c’était une qualité qui lui plaisait. Elle devinait que quoiqu’elle lui confiât comme tache, il irait jusqu’au bout. Loraine ne s’était pas trompée en lui envoyant le mariachi. Sans cesser de le regarder, chose qui ne semblait pas le gêner, elle réfléchit à la manière dont tout cela se passerait. Ils étaient trois, donc deux atouts de plus qu’un homme seul. Cependant il y avait encore des points à éclaircir :

- Avant de vous parler de cette affaire, plus en détail, nous avons plusieurs détails à régler. De une, il vous faut savoir qu’une fois sur place, vous agirez sans couverture. Je pourrai toutefois vous envoyer de l’aider matérielle ou autre, si besoin est, mais à aucun moment vous ne devrez évoquer à qui que ce soit, l’objet de ce qui vous mènera là-bas, et que mon nom non plus, ne devra être mêlé à ça.
- auriez vous des choses à vous reprocher ?

Si Crystal n’avait pas su lire dans ses pensées, elle aurait pu mal réagir à cette question, mais il plaisantait, se sachant lui-même dans une situation aucunement irréprochable.

- il se trouve que si quelqu’un là-bas, devait apprendre pour qui vous travaillez, cela annulerait directement votre contrat, mais en plus, cela m’ennuierait énormément. Et cela ne doit pas arriver, me suis-je bien fait comprendre ?

Le ton était devenu menaçant, et le regard de Crystal plongé dans celui du Mariachi, plus perçant que jamais. Il avait parfaitement compris, mais chose étonnante, ne s’en trouva nullement dérangé. Elle le voyait à son sourire, et l’entendait en esprit. Son assurance tenait presque de l’arrogance, il ne doutait de rien.

- parfaitement, mais vous êtes trop inquiète, j’obtiendrai ce qui vous intéresse. Mais pour ça, il faut me dire de quoi il s’agit.

Crystal soupira, vaincue.

- bien, mais ne comptez pas recevoir le triple de la prime promise, parce que vous êtes trois.
- ah ? et pourtant si, je me disais que…
- le chiffre n’était pas à marchander.
- ha je vois, dure en affaire !
- il le faut… Alors voilà, il s’agit d’un livre.
- un livre ?
- mais pas n’importe lequel. Ce livre est protégé et caché depuis des années dans un endroit mystérieux. Et je n’ai appris que récemment où il se trouvait.
- alors c’est un livre que je dois vous ramener.
- tout à fait, mais pour cela il faudra au préalable vous infiltrer dans l’université mycéenne de Crète.
- l’une des bases des marcheurs de rêve.
- exactement. Et il vous faut savoir que ce livre est plus protégé que la couronne d’Angleterre.
- alors c’est d’un cambrioleur que vous avez besoin.
- c’est bien plus que cela. Il va vous falloir jouer particulièrement fin sur ce coup. Le livre se trouve à l’université. Mais j’ignore par contre à quel endroit de cette université. Dans un premier temps, il vous faudra le découvrir, car c’est un secret bien gardé.
- hm mais vous avez bien réussi à apprendre que ce livre était en Crète.
- oui, mais ça non plus ce ne fut pas facile… Donc dans un premier temps, savoir où trouver ce livre, et ensuite, si tout se passe bien, me ramener ce livre. Dans ce cas, nous reparlerons argent.
- intéressant.. et à quoi ressemble ce livre ?
- à n’importe quel livre un peu ancien… il s’agit en fait d’un journal qui fut écrit de la main de quatre marcheurs de rêve, aujourd’hui décédés.. il est manuscrit, avec des dessins, et contient des informations qui me seraient très précieuses.

Crystal se tut, il n’avait pas besoin d’en savoir plus pour l’instant.

- Et comment il s’appelle votre bouquin ? Il a bien un titre en principe, non ?
- le livre des mondes oubliés.
- ha je comprends mieux votre intérêt.. J’ai entendu parlé de contes concernant ce livre..et..
- je ne vous demande pas votre avis à ce sujet, mariachi, je veux juste ce livre, et vous serez généreusement récompensé une fois qu’il sera entre mes mains.

5.

Ainsi l’affaire semblait conclue. Le Mariachi lui rapporterait ce livre, elle pouvait déjà le considérer comme sien. Ce que contenait ou disait ce livre dont il avait effectivement entendu parler, ne l’intéressait pas, c’était une des qualités du mariachi, il se contentait d’exécuter ses contrats, sans se poser trop de question, sans se mêler d’affaires que ne le regardaient pas. Esteban écrasa sa cigarette dans le cendrier et se pencha en avant.

- alors c’est en ordre.. J’accepte ce contrat, dit-il avec un petit sourire.
- comme vous avez le don d’inverser les rôles, mais soit, je pense que vous conviendrez à cette tâche, vous et vos frères.
- Quand souhaitez vous que nous partions ?
- le plus tôt sera le mieux.
- bien..
- je vous ferai transférer dès demain un capital de départ, et au fur et à mesure de l’avancement de notre affaire, je vous verserai régulièrement de l’argent sur un compte que vous aurez choisi.

Ils discutèrent encore de quelques arrangements, numéro de compte, banque, premier versements, matériel dont ils disposeraient. Lady Dark ne discuta sur aucune des demandes du mariachi et lui promit qu’il recevrait très vite le matériel hi-tech dès que Miguel lui transmettrait la liste de ce qu’il souhaiterait avoir pour bosser sur place. Ils en arrivèrent ainsi à la conclusion de cette soirée.

- m’offririez-vous un verre pour fêter ça ?
- il n’y a encore rien à fêter, du moins pour ma part.
- hm.. intransigeante, dure en affaire, dites-moi Lady Dark, ça vous arrive de vous détendre ?
- Naturellement, mais jamais quand je parle affaire, mariachi !

Elle s’était penchée par-dessus son bureau, et appuyée des deux mains sur la surface de celui-ci, elle ne réalisait pas qu’elle lui offrait une vue des plus aguichantes sur son décolleté . Mais elle dut voir qu’il s’était laissé prendre au piège de cette vue agréable, car elle se redressa aussitôt.

- nous en avions terminé, il me semble.
- je vous proposerai de fêter l’évènement quand vous me rapporterez le livre.
- haa, c’est dommage…

Esteban se redressa et s’approcha de la jeune femme. Oui jeune, veuve, magnifique, fortunée, mais si froide.. Il se pencha un peu en avant, avant de susurrer avec un sourire.

- vous me reverrez bientôt, milady.. .Bonne nuit !

Et le mariachi quitta le bureau sans plus se retourner, il songeait à ce qu’il pourrait acheter avec cette jolie somme qu’elle leur offrait, et tout ça pour s’emparer d’un vieux bouquin.